Oui, le corps des femmes est aussi politique. Et les droits des femmes, arrachés de haute lutte au pouvoir patriarcal, qui les autorisent par la loi à disposer de leur corps est une conquête politique. Le droit à la contraception, le droit à l’avortement comme toutes les avancées vers l’égalité sont les victoires de femmes et d’hommes qui ne se sont pas battus pour leur confort personnel mais pour le progrès de la condition des femmes, de toutes les femmes.
Elle n’aime pas trop ça, Marion Maréchal Le Pen, la politique. Surtout quand elle est de gauche. Marion Maréchal Le Pen n’aime pas la politique qui veut l’émancipation des individus. Sa politique à elle préfère la sujétion au pouvoir du chef, et aux « valeurs » édictées par d’archaïques croyances. Bénéficiant aujourd’hui, comme toutes les jeunes femmes, des droits conquis autrefois par des militantes qui n’étaient pas de sa famille politique, la sylphide Maréchal promet de couper les subventions régionales au planning familial.
Pour des raisons politiques. Et les benêts anti-gauchistes, et les peine-à-jouir nostalgiques de la vieille France où les femmes, réduites à la dimension de leur ventre, prolifique par la grâce de dieu, restaient à leur place (à la maison) d’applaudir tant de perversion. Ces ravis de la crèche, ces manipulateurs d’esprits racornis, ces revanchards d’une guerre qu’ils n’ont jamais accepté de perdre, portent aux nues leur fraîche Jeanne d’arc Maréchal et sa vision moisie de la société, de la famille et des femmes. Que ces droits soient remis en question par une jeune femme « moderne » quoi de plus réjouissant pour ces piètres idéologues de sacristie ?
Le Choix, de Désirée et Alain Frappier, rappelle à ceux et celles qui perdent trop vite la mémoire, ce qu’était la vie des femmes et des couples avant la loi Veil de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse. La vie des femmes ordinaires, pas celles de l’oligarchie qui ont de tout temps les moyens et le pouvoir de s’arranger, comme Marion Maréchal Le Pen. Le choix des femmes à procréer ou non, la liberté de décider elles-mêmes quand elles veulent avoir un enfant, la sortie d’un état de soumission au patriarcat appuyé sur les contraintes biologiques, furent et sont encore au cœur d’un combat dans lequel le Planning familial s’est engagé fermement, avec d’autres, jusqu’à la conquête. Victoire fragile, tant la liberté des femmes dérange toujours malgré les années.
Ce récit graphique, écrit par Désirée et dessiné par Alain, est à la fois une autobiographie et un documentaire. Désirée Frappier y raconte sa jeunesse d’enfant qui n’a pas été désirée. Élément d’une fratrie nombreuse, fruit de grossesses précoces et trop rapprochées, elle se souvient de l’époque où faire l’amour pouvait conduire une femme à la mort. Contrairement à ce que voudraient faire croire les réacs soi-disant provie, c’est bien du côté de la souffrance et de la mort que se tiennent ceux qui voudraient remettre en question l’IVG.
Souffrance du corps, bien sûr. Les curetages sans anesthésie, la douleur infligée en punition par des médecins qui, en dernier recours, sauvent peut-être une femme victime d’un avortement clandestin raté. Nombreux décès. Angoisse d’une jeunesse sans cesse préoccupée par la date des dernières règles, par l’observation des premiers signes d’une grossesse que l’on a la hantise de déceler en soi, que l’on cache à ses parents et que l’on se cache jusqu’à la perte des eaux dans le salon familial. Bébés venus à un âge où l’on n’est par encore prête à devenir mère, arrêt obligé des études, fin d’un projet de carrière. Impossibilité de s’aimer librement, frustration d’un désir et d’un plaisir rendus coupables. Difficulté à aimer ses enfants nés trop tôt, les uns après les autres au rythme d’un par an. Privation du bonheur de les élever au bon moment. Hommes et femmes souffrant toute leur vie de n’avoir pas été des enfants désirés, d’avoir gêné le bonheur amoureux de leurs parents, de les avoir indirectement menés à la séparation.
Tous ces thèmes sont présents dans ce livre passionnant, qui mêle habilement l’histoire intime d’une jeune femme rejetée, ayant compris très jeune qu’elle n’aurait pas du naître, et le récit des combats féministes conduits par des militantes mais aussi par des femmes moins engagées politiquement et qui ont eu le courage de déclarer qu’elles ont avorté, ou aidé à avorter, au risque de procès et de condamnations. Le Choix est construit autour de nombreuses rencontres et avec des femmes et des hommes dont l’action a pesé dans l’imposition de la loi Veil, reprend leurs témoignages, retrace les étapes menant à la victoire, et poursuit l’enquête jusqu’à nos jours. Le passé, pas si passé qu’il pourrait paraître, revient comme une gifle à l’occasion d’un festival de bandes dessinées au cours duquel Désirée et Alain Frappier rencontrent par hasard un stagiaire des années 2000, jeune homme « mignon et décontracté » qui leur sort tout-à-trac un discours anti-IVG. Comment lui répondre ? Par un argumentaire solide que les auteurs insèrent dans leur ouvrage. Le Choix est donc bien plus qu’une autobiographie et un livre portant la mémoire d’une lutte pour la conquête d’un droit fondamental, mais un appel à la vigilance. Tant est vrai ce que dit Annie Ernaux : rien n’est jamais gagné pour les femmes.
Désirée et Alain Frappier, Le Choix (2015), réédition Steinkis (2020)
(décembre 2015)