La levée du temps

« La levée du temps » se lit en apnée, emporté par ce vaste mouvement qui dit beaucoup en privilégiant le hors-champ. Au fil des pages, Anne Sainpère gagne en chair, en consistance, en émotion. Cette femme encombrée de son corps, frappée à tout moment par les bouffées de chaleur de la ménopause (sujet tellement vaste et tellement invisible), acceptant enfin de voir ce qu’elle avait sous les yeux depuis toujours, est un magnifique et touchant personnage. Je ne trahis rien en me permettant de dire qu’une forme de renaissance sera possible. Un livre tel que celui-ci ne peut se passer d’espoir.”

Un commentaire de Dominique Bondu : “Ce roman est un petit bijou littéraire. L’écriture très fine donne un rythme fluide, fait de phrases courtes, acérées, à ce récit qui entremêle le discours intérieur d’Anne Sainpère, « la femme qui se tait », « un personnage de roman », et une narratrice extérieure qui observe précisément les petits faits et gestes de cette femme en errance. Alternance entre « je » et « elle ». Anne Saint-père est une employée anonyme en télétravail, veuve solitaire, qui existait sous le regard de son mari, intellectuel brillant, protecteur mais au fond indifférent à « sa belle », et qui entretient une relation forte avec une femme énergique, Murielle Dahan. Anne Sainpère a su dès son mariage qu’elle se laissait tromper, qu’elle « s’aventurait dans une vie qui n’était pas la [sienne] ». Sainpère s’était « institué [son] phrare, mais la lumière d’un phare n’éclaire rien, c’est un signal, pour guider, moi je me tenais silencieuse à ses pieds dans l’ombre. »

Est ainsi admirablement évoqué ce processus de néantisation d’une femme qui veut ainsi en prendre acte et disparaître : « Ma disparition parmi des milliers, des millions, un trou de plus dans ce fleuve d’indifférence qu’on nomme humanité. »… Cela dit, ce non-être ne peut être total, tant qu’il y a de la vie. Un être humain est un trou d’être, c’est là sa liberté, il a un devenir, exister c’est d’une certaine façon s’arracher à l’être… Ainsi, Anne vit tout de même sous le regard des autres, elle existe en dépit de tout… Sa cheffe de service, « l’amie », Christine Le Preux, lui téléphone pour lui proposer cet échange d’appartement qui la fera partir pour Royan au bord de la mer. Ce récit devient alors celui de la relance d’une vie.

Bref. Il est peu de dire que ce roman revêt une profondeur métaphysique. C’est quoi vivre ? Comment exister ?

Au bord de la mer, une réponse se dessine pour Anne : être pour autrui en conservant sa liberté de choix. Elle rencontre ainsi des femmes, jeunes, énergiques, engagées, qui lui permettent, en quelque sorte, de saisir les enjeux du monde qui l’entoure : l’écologie, la barbarie humaine depuis la guerre, la Shoah… Tout cela est suggéré à peine, et le lecteur reste libre d’en faire son propre roman. C’est là que réside la puissance de ce livre.”

À découvrir sans attendre.”

Une lecture et un commentaire de Nikola Delescluse:

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