Catégorie : chroniques

La chute de Trumpmusk est programmée dans son ascension même. Ascension résistible comme toutes celles des dictateurs fascistes, qui n’accèdent au pouvoir qu’encouragés par la lâcheté et la bêtise des politiciens pseudo démocrates qui n’ont que le confort de leur précieux postérieur en guise d’esprit, rien de colonne vertébrale, rien d’honneur, des gavés. La rondeur du ventre les gêne pour ramper? Même pas. Ces démocrates pouet-pouet, fascinés par l’or, le pétrole et l’armée, obnubilés par leur célébrité, soucieux d’inscrire leur nom de lavette dans l’histoire, se chamaillent le bout de gras tandis que nous autres, les riens, les sans dents, le tiers état, nous cherchons déjà dans les ruines les vestiges de nos mort·es. Et pour se faire reluire la couenne, ils déroulent aux tyrans le tapis rouge diplomatique, parce que le sang, sur du rouge, c’est moins voyant. Trumpmusk tomberont, ce que nous ne savons pas c’est combien de massacres ils initieront, cautionneront, encourageront, favoriseront dans l’intervalle noir de leur domination. Que laisseront-ils du vivant? Ce que nous aurons obstinément préservé.

Si je comprends bien, l’arrêt brutal du pass culture, c’est à dire la suppression des moyens de subsistance de la majorité des artistes auteurices que leur activité de création ne nourrit pas et qui font des actions pédagogiques non seulement un acte de transmission et d’éducation indispensables mais tout simplement leur gagne-pain, serait une sorte de chantage. Les artistes (= nuisibles gauchistes assistées), si vous ne voulez pas crever de faim tout de suite, il faut voter le budget, ou au moins ne pas censurer le gouvernement. Mais peut-être que je n’ai pas compris car les raisonnements pervers des politiques m’échappent tout autant qu’à elleux la vie quotidienne des gens et surtout des précaires. Quoi qu’il en soit, on voit que le gouvernement emmerde les professionnel·les de la culture, c’est bien réciproque mais le partage de la haine n’est ni une consolation, ni une solution. Pourtant, nous étions déjà bien dociles, bien appliquées, les quenottes émoussées par les heures passées à remplir dossiers et formulaires en vue d’agréments et certifications de conformité. Ça ne suffisait pas, il nous fallait encore plus d’humiliation, la réduction de notre existence à néant, l’orientation générale vers le RSA et ses 15 heures obligatoires de rééducation. Qui sème la misère récolte la colère dit un air traditionnel, mais de cette moisson de colère, que fait-on?

L’émeute est belle; qui s’émeut s’éprend de liberté reprise. Arracher, ensemble, les chaînes puisqu’il leur faut esclaves, sans négociation. Émeutes non pas de la faim mais de la joie, de l’amitié retrouvées sous la cendre des feux consumant nos vies. Joie, amitié, plus fortes que colère pour renverser la peur. La belle émeute, coeur du vivant. Il est des pays où l’on kidnappe les opposant·es politiques. Plus de dictatures mais disparitions forcées en guise de consensus dé-mo-cra-ti-que. Gérance de l’humanité par l’effacement du gênant, ça se répand, se popularise, ce goût de ne plus faire semblant, ce goût pour le fascisme que seule l’émeute peut tuer. Résistible histoire.

Ce soir, j’ai dans l’oreille l’écho d’une voix de femme, lointaine, que je ne reconnais pas mais la mélodie est celle du temps des cerises. L’air, peut-être, que jouait le fils artiste quand il apprenait à manier une contrebasse taillée à sa mesure d’enfant, la voix surgissait du frottement de l’archet contre les cordes, un peu tremblante, étirée, muette des paroles qui sonnaient pourtant dans ma tête. Ou bien la voix de Cora Vaucaire vibrant entre les murs de la classe quand nous apprenions le futur simple dans le texte de Jean-Baptiste Clément, à trous. Ou encore, la voix de l’actrice qui joue la domestique du docteur Gachet dans le film de Pialat sur les derniers jours de Vincent à Auvers, et c’est la scène la plus émouvante du film quand, à la fin d’un déjeuner de campagne, la mère se lève et chante le temps des cerises en hommage à son fils mort en communard.

Cette nuit, relues quelques pages de Charlotte Delbo. Ce “voyage” en train, incroyable, entre Auschwitz et Ravensbrück, le transfert de Delbo et sept camarades déportées, escortées par des SS bêtes et mollassons, qui fument. Regards fuyants des civils que croisent ces huit femmes maigres en vêtements de détenues et leurs gardiens paumés dans le métro berlinois. Françaises, elles ont appris par coeur une phrase en allemand: elles sont des prisonnières politiques, pas des criminelles. Leur aspect fait peur aux enfants. Autorisées à aller aux toilettes, elles auraient pu se changer et fuir, s’évader parmi la foule de la gare, dans Berlin en ruines; la situation est trop imprévue pour qu’elles improvisent. La ville est détruite. “Ç’aurait été vraiment trop nous demander que nous demander de nous attendrir sur les enfants qui gisaient sans doute sous les décombres. Nous n’avions de pitié que pour les enfants d’Auschwitz. Ils nous avaient endurcies pour les autres.” Endurcir, voilà ce que produisent les guerres imbéciles, les crimes de guerre, les génocides. Endurcir. Une partie de soi devient pierre et ce soi-pierre on le transmet- sur combien de générations?

Avec des ami·es comme cette députée macroniste applaudie par l’extrême-droite, les Juifs et les Juives de ce pays n’ont plus besoin d’ennemi·es. La bassesse politique, la déchéance intellectuelle semblent ne jamais atteindre leur acmé: toujours pousser plus loin la propagande mensongère. On fuit facebook quand le taulier milliardaire annonce la fin du fact-checking, mais y-a-t-il une modération à l’assemblée nationale? L’instrumentalisation de l’histoire et de ses millions de cadavres est devenue une constante de la politique version Macron; la décence, le respect des mort·es, iels ne connaissent pas plus que la vérité. Il n’y a, pour ces gens, aucun devoir de mémoire, mais seulement au jour le jour un opportunisme politicard, soucieux de flatter l’échine d’un électorat qui, je l’espère, n’est pas si crédule qu’iels l’imaginent. La “haine du Juif”, c’est la droite droitière, catho intégriste, nationaliste, extrême, depuis toujours, par tradition. La “haine du juif” est une composante dès l’origine du Front national dont le gouvernement cherche à séduire l’avatar, toute honte bue, en contribuant à son effort de manipulation de l’opinion. Avec des tel·les irresponsables aux manettes, après avoir compris que le mensonge c’est la vérité, nous pourrons bientôt vérifier que la guerre c’est la paix.

Se plaignent des jeunes, de leur rapport au travail. Les jeunes ne veulent plus bosser, paraît-il. Bon, autour de moi ça bosse. Le fils étudiant vient d’aligner une journée de neuf heures en extra, hier, et il reprend les cours ce matin. Ces copains ont aussi une vie comme ça. Mais oui, je crois que le rapport au travail a changé. Quel travail? L’alimentaire, celui qu’on fait seulement parce que, on ne sait pourquoi, vivre n’est pas gratis, tout est à acheter même l’eau. Alors on fait des extras, des remplacements, de l’intérim, des contrats précaires. Alors on accepte parfois un CDI, mais quand le/la chef·fe pousse le bouchon, quand la routine est trop pesante, quand ça commence à ronger l’existence, à attaquer la vie, la vraie, alors on se lève et on se casse. Celleux qui se plaignent, daron·nes de tout poils, ont oublié comment ils nous ont fait entrer la flexibilité dans le crâne à coups de butoir portés au code du travail. La flexibilité, il nous faut l’accepter quand elle est imposée par le patronat, mais pas question de la retourner à notre avantage pour en faire un mode de vie, c’est de la triche. Voilà, les jeunes prennent le mini salaire qu’on leur file en échange d’un travail sans intérêt puis se démerdent pour vivre leur vie malgré tout, allant d’une mission l’autre au gré des vents. Et si ça fout le zbeul, tant mieux.

Trouvé par hasard, cette nuit, le podcast d’une interview de Jérôme Lindon, à la tête des éditions de Minuit. L’enregistrement date de la fin du siècle dernier. En écoutant l’éditeur de 70 ans, témoin et acteur de cinquante années d’édition dans la France de la deuxième moitié du XXe siècle : changement d’époque. Minuit est alors une maison d’édition indépendante, mais l’adjectif n’est prononcé ni par le journaliste, ni par Lindon. Il y a les grandes maisons (Gallimard) et les petites maisons (Minuit), petites par le nombre de personnes impliquées dans son fonctionnement et celui, restreint, des titres publiés chaque année. Le fait de dépendre ou non d’un groupe industriel, du capital d’un ensemble d’actionnaires, et in fine de quelques milliardaires semble hors sujet, du moins dans une interview, en 1996. Certes, on décèle une certaine posture dans la manière dont se présente Lindon en tant qu’éditeur, et beaucoup de non-dits, mais l’image donnée est celle d’un homme tranquille, dédiant une part de ses journées à la lecture des manuscrits reçus par la poste. Non, il n’a pas découvert Beckett, dit-il, mais seulement pris la décision de le publier contre les autres maisons d’édition qui avaient reconnu l’intérêt de Molloy mais reculé devant les faibles perspectives de vente, estimées à 500 exemplaires (on dirait aujourd’hui 50). Chez Minuit, tout n’aurait été, en fin de compte, qu’une affaire de chance, de bon compagnonnage et de routine de travail, comme pour n’importe quelle PME. Je lis, par ailleurs, que l’éditeur Frédéric Martin, récemment embauché chez Robert Laffont (groupe Editis, milliardaire : Kretinski) qui ne recule pas devant la dépense pour redresser la marque, affirme qu’il lira personnellement les manuscrits qui lui seront envoyés. Il y a 30 ans, le fait de lire les manuscrits était présenté comme le coeur du métier d’éditeur, aujourd’hui c’est un coup de pub.

Reçu, hier, ce beau commentaire sur La levée du temps. Mots de Dominique Bondu que je remercie vivement pour sa lecture sensible, qui touche juste :

“Ce roman est un petit bijou littéraire. L’écriture très fine donne un rythme fluide, fait de phrases courtes, acérées, à ce récit qui entremêle le discours intérieur d’Anne Sainpère, « la femme qui se tait », « un personnage de roman », et une narratrice extérieure qui observe précisément les petits faits et gestes de cette femme en errance. Alternance entre « je » et « elle ». Anne Saint-père est une employée anonyme en télétravail, veuve solitaire, qui existait sous le regard de son mari, intellectuel brillant, protecteur mais au fond indifférent à « sa belle », et qui entretient une relation forte avec une femme énergique, Murielle Dahan. Anne Sainpère a su dès son mariage qu’elle se laissait tromper, qu’elle « s’aventurait dans une vie qui n’était pas la [sienne] ». Sainpère s’était « institué [son] phrare, mais la lumière d’un phare n’éclaire rien, c’est un signal, pour guider, moi je me tenais silencieuse à ses pieds dans l’ombre. »

Est ainsi admirablement évoqué ce processus de néantisation d’une femme qui veut ainsi en prendre acte et disparaître : « Ma disparition parmi des milliers, des millions, un trou de plus dans ce fleuve d’indifférence qu’on nomme humanité. »… Cela dit, ce non-être ne peut être total, tant qu’il y a de la vie. Un être humain est un trou d’être, c’est là sa liberté, il a un devenir, exister c’est d’une certaine façon s’arracher à l’être… Ainsi, Anne vit tout de même sous le regard des autres, elle existe en dépit de tout… Sa cheffe de service, « l’amie », Christine Le Preux, lui téléphone pour lui proposer cet échange d’appartement qui la fera partir pour Royan au bord de la mer. Ce récit devient alors celui de la relance d’une vie.

Bref. Il est peu de dire que ce roman revêt une profondeur métaphysique. C’est quoi vivre ? Comment exister ?

Au bord de la mer, une réponse se dessine pour Anne : être pour autrui en conservant sa liberté de choix. Elle rencontre ainsi des femmes, jeunes, énergiques, engagées, qui lui permettent, en quelque sorte, de saisir les enjeux du monde qui l’entoure : l’écologie, la barbarie humaine depuis la guerre, la Shoah… Tout cela est suggéré à peine, et le lecteur reste libre d’en faire son propre roman. C’est là que réside la puissance de ce livre.”

À découvrir sans attendre.

Comme les livreurs de pizzas, les professeur·es à domicile sont confronté·es aux vicissitudes des portes fermées. Interphones, code, double code, badge, l’accès aux immeubles est réservé. Hier, la porte ne s’ouvrait pas, en dépit des injonctions du jeune homme dont j’entendais la voix par l’interphone, à tirer “hyper fort” et de mes tentatives de tractions musclées. Survient une dame que j’accueille en sauveuse alors qu’elle tire un trousseau de son sac. Pas de bonjour en réponse au mien mais un regard soupçonneux et un j’vous connais pas. Je me présente, professeure de français, je viens pour donner un cours à Bidule. Qui c’est ça Bidule?, j’le connais pas. C’est votre voisin du tantième. Connais pas. J’insiste, elle me rendrait un grand service cette dame si elle me laissait entrer car la porte est difficile à ouvrir comme elle le sait. Elle grogne, normalement je ne devrais pas, traverse rapidement le hall, s’enferme chez elle à double tour. Il m’a fallu attendre 57 ans pour inspirer une fois la méfiance, et je me demande ce qui se serait passé si j’étais noire et livreuse de pizzas. C’est un effet du privilège blanc, être entrée malgré tout dans l’immeuble, mais surtout, de l’attitude imbécile de cette femme, pouvoir rire.

Thème : Overlay par Kaira.