Au quotidien

Donc, la première partie de ce roman commence par une pulsion suicidaire et se termine en batucada. C’est la même pulsion, finalement, celle de ne plus chercher de sens à l’existence en en pressant la fin, en s’oubliant dans une foule en fête. Il y a des moments où il faut que quelque chose se passe, basculer par la fenêtre, danser parmi les ruines et les sœurs d’âme en costume d’oiseau de paradis: à la faucheuse, préférer les frangines au ventre souple. Hâte de passer à la deuxième partie, celles des fantômes et des amitiés neuves. On se demande ce qui nous est arrivé, que l’on n’a pas senti se produire mais qui est là, gisant devant la mer tel un grand bois flotté.

J’ai commencé à travailler la mise en page sur le logiciel Affinity publisher. Cette évidence me saute au nez: il est absurde qu’un texte soit mis en page par une autre personne que son auteurice ou, du moins, sans étroite collaboration avec le ou la maquettiste. Ce qui se passe habituellement: j’envoie mon texte en fichier word avec le moins possible de formatage, ce contenu va se loger dans une maquette pré-établie par la maison d’édition selon la collection dans lequel il entre avec un nécessaire travail d’adaptation mais réalisé dans les bureaux de l’éditeurice. Ma lecture des épreuves ne sert qu’à corriger les coquilles, à effectuer les dernières reformulations. La préparation de l’édition d’À la rue, nous a obligées à travailler autrement puisqu’écrit en vers libres le texte “Debrief” ne pouvait s’adapter à la maquette, c’est la maquette qui a dû s’adapter et moi, de temps à autre, trouver une solution d’écriture pour que ça fonctionne sur la page sans abîmer le rythme. Pour apprendre à me servir du logiciel, j’ai réalisé la maquette de ma nouvelle La Fondation philanthropique, soit 40 pages intérieures. C’est un bonheur de pouvoir choisir sa typo, ses typos, avoir la liberté du format, des images éventuelles, de composer ce que les lecteurices verront sur la page avant de la lire. Bien évidemment, en élaborant une forme, un retravail du texte s’impose, nouvelles idées, obscurités qui se dévoilent et demandent précisions, recomposition des paragraphes selon la place qu’ils prennent ou comment les phrases s’enchaînent d’une page à l’autre, etc… Je pars un mois en résidence d’écriture, à mon retour je m’occuperai de faire imprimer cette maquette même si je n’en ai pas vraiment les moyens. C’est important, peut-être un changement durable dans ma façon de travailler un texte.

Travailler la semaine à durcir encore une loi xénophobe et raciste, puis inviter le bon peuple à manifester le dimanche contre l’antisémitisme, en compagnie des dirigeantEs d’un parti fondé par d’anciens nazis, telles sont les occupations courantes des sénateurs et sénatrices grassement rémunéréEs par les contribuables. Ces éluEs ne souffrent pas de la schizophrénie, ce sont juste des politiciens et politiciennes électoralistes. Quant aux étoiles de David taguées dans Paris, on nous raconte qu’elles sont d’inspiration moldave, financées par la Russie, dans une intention de soutenir les Juifs qui n’a pas atteint son objectif puisqu’elles ont été aussitôt interprétées en sens contraire. Ce cirque conduit directement au déferlement de propos racistes, aux actes racistes, quelle que soient les victimes ciblées. Pas de commentaire sur le ministre de la justice, toujours au gouvernement tandis qu’il siège à la cour de justice de la république mais sur le banc des prévenus, accusé d’avoir utilisé son pouvoir à des fins personnelles . Nous sommes donc citoyens et citoyennes d’une république de vaudeville. Doit-on s’y habituer? Je ne crois pas.

Je vais relire tout au long ce matin la première partie du texte dont je travaille l’écriture depuis cinq mois. Un bloc de quatre-vingt mille signes, un peu plus, sans paragraphe, tout doit tenir ensemble et se lire sans rupture. J’aimerais sincèrement écrire quelque chose qui fasse du bien aux lecteurices, qui réconforte, qui donne espoir, qui les fasse rire, pourquoi pas? Mais ne sort de mon cerveau attristé que le chaos du monde, les empêchements de vivre, d’être soi, les relations difficiles, les réminiscences terribles de l’histoire. Tant pis. Ne sais pas ce que ça vaut mais au moins j’ai la certitude que ce que j’écris ne peut l’être que par moi. Donc, continuer à avancer sans trop se retourner sur les doutes accrochés aux talons. Etouffer la tristesse en soi, c’est ce que je veux travailler dans la deuxième partie du texte, pendant la fin de ma résidence d’autrice à Royan. Une sorte d’apaisement. Mais est-ce possible? Le chat des voisines qui roupille sur mon lit ne se pose pas tant de questions, je crois. Regarder le monde avec des yeux de chat.

La pression commerciale liée à la rentrée littéraire et aux prix d’automne va s’alléger quelques semaines, avant la reprise du matraquage publicitaire en janvier. Parce que j’ai moins de patience avec l’âge, parce que la situation politique et humanitaire globale rend d’autant plus obscène toute injonction à dépenser nos quelques sous comme l’ordonnent les services marketing des groupes éditoriaux, la période m’a parue particulièrement longue et vomitive quelle que soient les qualités des auteurices sur lesquelles les maisons d’édition parient pour engranger de gras bénéfices. Ma rencontre avec les textes ne s’est jamais faite de la sorte, sur prescription commerciale, mais de l’une à l’autre, en furetant dans les bibliothèques privées et publiques, par cheminement de curiosité, d’intérêt, par capillarité. La lecture reste une expérience intime, n’ayant d’autre impulsion que la découverte de l’univers particulier d’un auteur ou d’une autrice, de sa langue, du cheminement de son oeuvre. C’est peut-être cet enrôlement forcé des consommateurices dans le succès d’un titre en terme de chiffres de ventes, qui les dégoûtent des livres et de la lecture, je ne sais pas. Je me sens vivre dans une réserve d’ultimes Mohicans où l’on s’échange les livres discrets et les écrivainEs qui échappent au vedettariat. Heureusement iels sont les plus nombreux. En dinosaure échappée du XVIIIe siècle, je réussis même à faire censurer mon dernier livre, le faire interdire de présentation dans une médiathèque parce que son contenu est jugé trop sensible politiquement par le maire. Expérience troublante de la porosité des temps. Cependant que l’ombre gagne, le spectacle continue.

Si j’en crois les réseaux sociaux, des propagandistes assez cyniques et dégueulasses osent comparer les cadavres d’enfants. Enfants mortEs de la main des adultes en guerre, celleux d’une certaine nationalité/religion, celleux d’une autre. Il y aurait d’un côté d’innocentes victimes, de l’autre quelque chose, mais quoi? On voit comment l’Histoire n’apprend rien, parce qu’il est indéniable que ces immondes, étant passéEs par les écoles, l’ont comme nous étudiée. Faire des enfants ses ennemiEs, les déshumaniser, accepter leur mort comme inévitable conséquence de la guerre voire comme favorable à la victoire du bien sur le mal, c’est se ranger délibérément dans l’orbe de l’idéologie nazie. Mais les nazis c’est toujours celleux d’en face. Les criminels de guerre se sentent les mains aussi propres que la conscience. Les enfants assassinéEs dans les conflits armés ne viennent hanter les cauchemars que de celleux qui sont dans l’incapacité de faire cesser les massacres, ces peuples au nom desquels une poignée de fous de guerre utilisent des armes pour faire mourir des enfants. On a beau crier pas en notre nom, ça continue, et les propagandistes, innommables valets des assassins, passent à la télé.

On me dit que, habitant près de Paris, je n’ai pas idée du degré de racisme dans certaines régions françaises. Peut-être, même si ce n’est pas tout beau tout rose par ici non plus. Il doit me manquer une sacrée case, parce que le racisme, je n’arrive pas à le comprendre. Que l’on puisse reprocher à l’une ou l’autre d’être ce qu’elle est, avec ses caractéristiques le plus souvent données à la naissance, je ne vois pas comment c’est possible même si je constate que ça se pratique de plus en plus ouvertement. Pour moi le racisme ne se découpe pas, il est tout un. On pose l’égalité des êtres ou on ne la pose pas. Principes fondamentaux : égalité des êtres et des intelligences. Il parait que quand on défend cette idée, dans des textes et des livres, par des photos, on fait une tribune politique donc on peut-être censurée et ça passe crème. Il y a quelque chose de très pourri dans ce pays, la plupart des médias lavent à grande eau de propagande, mais ça sent.

Hier, visite à la médiathèque Matéo Maximoff pour l’inauguration d’une exposition de photographies sur l’histoire du quartier gitan de Montpellier. La vie en cabanes près du fleuve dans les années 1950, puis la cité de transition avant le relogement par un bailleur social. Ceci obtenu par la lutte, évidemment, avec suffisamment de bonne volonté de la part de la mairie, de la préfecture et de la CAF, mais surtout par l’opiniâtreté d’un couple de médecins, les Delmas. Revers de l’opération de relogement: la décision du maire de regrouper l’ensemble des familles gitanes dans les mêmes cités dans le but avoué de les contrôler plus facilement. Une petite vidéo de l’intervenante de l’association APAJ, nous a montré l’état des cités actuellement. Ce sont des maisons regroupées derrière un haut mur surmonté d’un grillage par endroits. Maisons devenues trop petites pour les familles et que le bailleur n’entretient plus. Deux femmes gitanes catalanes avaient fait le voyage pour être présentes, dont l’une que l’on voit petite fille sur une photo. Elles racontent que leur demande de changement de logement social est purement et simplement mise à la corbeille par le bailleur. Il parait que toutes les familles gitanes doivent rester regroupées, qu’elles le veuillent ou non. On pense encore comme cela chez les décideurs du XXIe siècle. Par quartiers de relégation, ghettos. On sait que ça donne le pire mais on continue. Surtout, ne jamais demander leur avis, leurs idées, leurs désirs, aux familles concernées: quand on est pauvre et gitane, on est déplaçable ou non mais on n’a rien à dire.

Chacune cherche ses mots pour dire son impuissance. Contre ces fous de guerre prêts à décimer toute une population qu’ils se sont érigés uniment en ennemie, entraînant dans la mort des milliers de civils, d’enfants, sans que leur main ne tremble, sacrifiant aussi soldats, soldates, otages. Qu’il ne reste qu’un champ de ruines sur un champ de cadavres. L’histoire retiendra leurs noms en grands criminels de guerre, en bouchers d’ici ou d’ailleurs, peu leur importe ils sont aujourd’hui délicieusement traversés par les frissons de l’hubris. Les organismes internationaux fondés pour préserver la paix ne sont qu’une mauvaise blague au nez des crédules. C’est la guerre qui gouverne le monde, tant d’armes imaginées, construites, achetées, ça serait dommage de ne pas s’en servir… Quant à ce pays qui paraît-il est “le mien”, c’est un petit pays que je vois rétrécir de jour en jour, il n’en restera bientôt rien tant l’esprit de médiocrité, d’étroitesse, de mépris, de lâcheté habite les hommes de pouvoir qu’une démocratie dévoyée à fait élire. Ici un maire censure une exposition de cinq jours parce qu’elle montre des photographies de familles Rroms sans abri, là une fresque est recouverte mystérieusement d’une couche de peinture blanche probablement parce que la peintre a écrit justice pour Nahel dans un coin, là encore une autrice palestinienne est interdite de venir recevoir un prix littéraire, on peut multiplier les exemples. Ça n’a rien à voir avec les guerres? Mais c’est le même processus d’écrasement, en intensité basse. “Notre” président s’est trouvé une guerre à son envergure, c’est-à-dire nulle : il va faire interdire l’écriture inclusive. C’est perdu d’avance, mais ça fait monter sa côte d’amour chez les électeurices réactionnaires. Il a besoin d’amour. Et tournez manèges…

Au regard des drames de l’actualité, guerres, assassinats, destructions, tueries y compris d’enfants, cette misérable histoire de censure, on a honte même d’en parler. Qu’est-ce qu’une interdiction d’exposer, qu’est-ce qu’une interdiction de parler d’un livre? Ça ne fait pas mort d’homme, comme on dit. Et pourtant, à laisser passer les menus incidents comme celui qui nous arrive, on accepte implicitement la suite, l’écrasement général sous l’éternelle botte, aurait-elle l’apparence d’un soulier à glands. Minable autoritarisme d’un vieillard réac et raciste. Nous avons fait simple dans le communiqué que nous publierons lundi. Juste les faits. Mais il nous faudrait collectionner tous ces cas de censure à laquelle l’une ou l’autre doit se confronter parce que ce qu’elle écrit, peint, photographie, joue, parce que ce qu’elle est ou représente n’a pas l’heur de plaire au baron d’un bled. Le ciel, on aura eu le temps de bien le regarder se couvrir avant que les nuages crèvent.

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