Je regarde Le fils unique, un film d’Ozu datant de 1936. Une mère, ouvrière de la soie, vient rendre visite à son fils qu’elle a envoyé étudier à Tokyo en se privant de tout. L’homme est devenu un professeur de cours du soir, très pauvre et désabusé, vivotant avec femme et nouveau-né sans espoir de sortir de la condition où le déterminisme social et le racisme de classe le cantonnent. Dans ce film, une scène me frappe sans que je sache dire pourquoi. Le désir de gâter sa vieille mère en lui procurant des divertissements conduit l’homme à l’emmener voir un film devant lequel elle somnole. On voit les personnages parmi les autres spectateurs du cinéma puis des images du film, dans une alternance salle-écran. Un long travelling montre une actrice blonde et bien en chair courir dans un champ de blé, le visage épanoui, se retournant par instant sur l’homme qui peine à la suivre. En arrière plan, le ciel est séparé du champ par une ligne plus sombre d’arbres touffus. Les blés sont en épis qui lui montent jusqu’au cou, les bras sont à demi-nus, sortant d’une robe à froufrous mais de style folklorique. Je fais une capture d’écran, me renseigne. Il s’agit d’une réalisation autrichienne, une production du reich, un film nazi. L’amoureux (é)perdu qui suit difficilement la gretchen n’est autre que le pauvre Schubert, mobilisé dans ce navet pour la propagande nationale-socialiste. Je garde la photo sur le bureau de mon ordi, et clique dessus assez souvent. Cette image, pourtant absolument niaise, à quelque chose à me dire d’autre que sa signification dans le film d’Ozu. Prendre le temps de m’y arrêter, creuser cette affaire, tordre le cou à la gretchen, oui mais quand?
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