Hier, en avance pour la rencontre et l’atelier d’écriture avec les lycéen·nes, je bifurque jusqu’au collège du Mont Mesly où j’étais prof il y a vingt ans. Jamais revenue dans ce quartier depuis, je découvre de nouveaux bâtiments sans me souvenir de ce qu’ils remplacent. Le petit marché toujours bourdonnant. La cité, je la reconnais, peut-être repeinte et des aménagements pour les enfants posés entre les immeubles. Mais du collège, ne reste que le nom, Amédée Laplace; de l’ancienne barre des années 1960, aucune trace. Un établissement moderne, plus grand et bien plus confortable s’étale où je dois me creuser la cervelle pour retrouver quelques bribes d’espace effacé, le parking devant le bloc de béton, de longs couloirs, la salle de classe dont les fenêtres donnaient sur la cité de l’autre côté de l’avenue. C’était l’année des émeutes. Zyed et Bouna avaient l’âge de mes élèves, ils étaient morts électrocutés dans le transformateur où ils avaient cru trouver refuge, poursuivis par des policiers qui les avaient laissés là, les sachant en danger de mort. Automne 2005, il y avait classe la journée, et le soir le feu. Nous étudiions la poésie de Victor Hugo célébrant l’art d’être grand-père. Cette élève, fâchée à la lecture de “Jeanne fait son entrée” : Dieu, le bon vieux grand-père, écoute émerveillé. La suivant, une fronde imprévue éclate dans la classe: on ne compare pas Dieu à un grand-père et encore moins un grand-père à Dieu, c’est offensant. La provocation m’avait agacée, notre bon vieux Totor national soumis aux règles d’une religion qui n’était pas la sienne. Mais je ne comprenais pas. Les adolescent·es me renvoyaient au nez ces alexandrins à la douceur bourgeoise tandis que tiédissaient, en bas de chez elleux, des carcasses de voitures calcinées.

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