Ce tort qui nous a été fait, celui de nous élever, instruire, initier à la beauté, ouvrir à l’intelligence et à la sensibilité sans les textes des femmes. Je cherche, je trouve, mais quoi? Enfant, Enyd Bliton: je n’étais pas fan des aventures des 5 ou 7 dont les relents coloniaux et sexistes nous sautent à la figure maintenant qu’un obstiné travail de déconstruction s’accomplit enfin sur ce dont on nous a nourries. Je préférais Alice la détective, mais Caroline Quine n’est que le nom fictif d’une équipe d’auteurices de l’écurie Hachette, la marque choisissant un prénom féminin plus vendeur quand il s’agit d’une production destinée aux jeunes filles. Alors oui, il y avait George Sand dont le pseudonyme sonne masculin mais on nous disait qu’elle était femme quand nous lisions en classe des extraits de La Petite Fadette. Sinon? Les Agatha Christie du dimanche. Je n’ai pas été élève d’un lycée général, j’ai intégré en seconde une section technique de l’École Boulle où la place du “français” était réduite. J’ai pourtant passé mon bac littéraire en candidate libre. Aucun souvenir d’autrices dans mes révisions, pas même Madame de Lafayette lue bien plus tard, ni Colette, Elsa Triolet mentionnée comme la femme d’un célèbre poète, peut-être une page ou deux de Yourcenar qui venait d’être élue, première femme, à l’Académie française? J’ai eu dix-huit ans en 1985, à cette date Le Ravissement de Lol V Stein avait 21 ans, Le Deuxième sexe avait 36 ans, La Bâtarde avait 21 ans comme L’Opoponax, Tropismes avait 46 ans, etc. Ce tort, cette torsion masculiniste dans l’accès aux textes, je comprends aujourd’hui combien il m’a entravé dans ma vie de femme mais aussi freiné dans mon travail d’écriture. C’est avec les Woolf, Duras, Wittig, Colette, Leduc, Sarraute, avec des autrices du passé et contemporaines que mon écriture veut dialoguer. Temps perdu qui ne se rattrape pas, comment ne pas penser qu’ils ont fait exprès ?
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