Trouvé par hasard, cette nuit, le podcast d’une interview de Jérôme Lindon, à la tête des éditions de Minuit. L’enregistrement date de la fin du siècle dernier. En écoutant l’éditeur de 70 ans, témoin et acteur de cinquante années d’édition dans la France de la deuxième moitié du XXe siècle : changement d’époque. Minuit est alors une maison d’édition indépendante, mais l’adjectif n’est prononcé ni par le journaliste, ni par Lindon. Il y a les grandes maisons (Gallimard) et les petites maisons (Minuit), petites par le nombre de personnes impliquées dans son fonctionnement et celui, restreint, des titres publiés chaque année. Le fait de dépendre ou non d’un groupe industriel, du capital d’un ensemble d’actionnaires, et in fine de quelques milliardaires semble hors sujet, du moins dans une interview, en 1996. Certes, on décèle une certaine posture dans la manière dont se présente Lindon en tant qu’éditeur, et beaucoup de non-dits, mais l’image donnée est celle d’un homme tranquille, dédiant une part de ses journées à la lecture des manuscrits reçus par la poste. Non, il n’a pas découvert Beckett, dit-il, mais seulement pris la décision de le publier contre les autres maisons d’édition qui avaient reconnu l’intérêt de Molloy mais reculé devant les faibles perspectives de vente, estimées à 500 exemplaires (on dirait aujourd’hui 50). Chez Minuit, tout n’aurait été, en fin de compte, qu’une affaire de chance, de bon compagnonnage et de routine de travail, comme pour n’importe quelle PME. Je lis, par ailleurs, que l’éditeur Frédéric Martin, récemment embauché chez Robert Laffont (groupe Editis, milliardaire : Kretinski) qui ne recule pas devant la dépense pour redresser la marque, affirme qu’il lira personnellement les manuscrits qui lui seront envoyés. Il y a 30 ans, le fait de lire les manuscrits était présenté comme le coeur du métier d’éditeur, aujourd’hui c’est un coup de pub.
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