Un rat habite dans la boîte à compost au fond du jardin. Je dis un rat, je ne l’ai pas vu. Je remarque d’abord un petit tas de terre, pointu, comme si l’on avait renversé le contenu d’un pot ou d’une jardinière parmi les épluchures et les quignons de pain rassis. Je n’avais rien renversé de tel, or je suis la seule humaine à fréquenter la boîte à compost au fond du jardin. Le lendemain, plus de mystère mais de la terre davantage et un trou rond d’une dizaine de centimètres de rayon, le débouché d’un tunnel aux bords lisses. En ville, depuis que les poisons sont interdits, nous nous sommes habitué·es aux rats. Je les appelle Nestor, n’omets pas de saluer et de demander des nouvelles de la famille quand Nestor surgit soudain devant mes pieds, le soir tombant, dans une rue tranquille. Mais ces êtres affairés n’ont pas le temps d’une conversation. Je pourrais m’attarder, peut-être, avec Nestor de la boîte à compost au fond du jardin. Je reste prudente. Le chat d’une amie de Royan, par amitié, lui a apporté à la maison un mulot mais vivant. Elle a rendu le mulot à son milieu naturel, mais il s’est vengé de l’impertinence du chat en mordant sa propriétaire, deux fois. Ici, le chat des voisines ne m’a jamais offert qu’une petite souris d’autant plus inoffensive qu’elle était morte. Je l’ai enterrée dans un coin. J’ai bien vu que le chat ne comprenait pas ce gâchis, lui qui pensait me faire plaisir et que nous partagerions le festin. Avant d’ouvrir la boîte à compost, je tape deux fois sur le couvercle pour faire fuir Nestor. Mais cet être intelligent doit avoir compris que ces deux coups annoncent le service imminent d’un repas frais. Ces deux coups sont pour lui un appel, un peu comme ma grand-mère, sur le seuil de la maison de campagne, agitait une cloche pour faire venir les enfants disséminés dans le grand jardin, pour qu’ils arrivent en courant avant que le plat ne refroidisse sur la table. Je m’apprête à découvrir Nestor, assis sur son derrière et la serviette autour du cou, flairant, intrigué, le plat du jour. Me demandera-t-il, poliment, des nouvelles de la famille?
