Trois jours en compagnie d’une fillette de six ans. Elle apprend à lire, déchiffre déjà bien, aime les livres. C’est une petite fille inquiète. Trois jours loin de chez elle et il faut rentrer, vite. Les gens inquiets aiment les livres, en lire, en écrire. Les enfants inquiets parlent tôt; le fils aîné discourait avant deux ans à l’aide d’un vocabulaire étendu, la pédiatre me l’avait dit mais je ne l’avais pas vraiment écoutée, quel rapport entre le langage et l’angoisse? Maintenant je sais qu’elle avait raison. La petite fille de six ans choisit ses mots avec précision, elle déchiffre, le doigt sous la ligne de texte, syllabe après syllabe, jusqu’à ce que le sens se dégage. Soudain l’angoisse la saisit, de l’éloignement avec les parents – et s’il leur arrivait quelque chose quand elle n’est pas là? Je lui tends le téléphone, il lui manque “les têtes”, nous rappelons en vidéo mais il lui manque “les corps”, les corps vivants et chauds, de la mère, du père, de la soeur, du frère, et de tous les proches. Ce qu’elle voudrait, c’est que tous ceux et toutes celles qu’elle aime vivent ensemble, réunis dans la même maison, toujours. Mais les adultes sont incorrigibles, décident d’habiter séparément, et partout en France, et en Angleterre, et en Allemagne et aux États-Unis, sans oublier celleux qui sont en Guinée et pour lesquel·les on s’inquiète. J’ai profité d’un moment parisien pour la présenter à Baudelaire qui, comme elle, connaissait l’angoisse et choisissait ses mots.

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Thème : Overlay par Kaira.