Lire le Journal de bord de Gaza, écrit par le journaliste palestinien Rami Abou Jamous, c’est faire bouger son attention de l’extérieur, les images des bombardements et destructions, le décompte des mort·es, des blessé·es, vers l’intérieur, la survie des familles prises dans “cage” que le gouvernement et l’armée israéliens ont fait de Gaza. Un mot revient souvent dans les textes de Rami Abou Jamous: “humiliation”. En français, le mot d’origine latine porte l’idée de mettre à terre; on dit plus bas que terre, par mortification c’est-à-dire décomposition des tissus vitaux, par avilissement c’est-à-dire dégradation morale. Humilier c’est vouloir retirer à celleux qu’on humilie leur humanité, par un délitement physique et psychique. À Gaza, il n’y a pas que la mort, les déplacements et la peur, il y a l’humiliation d’une population gazaouie qui a perdu tout ce qu’elle possédait, ce qui avait été construit de génération en génération, qui doit vivre, sans intimité, sous la tente, qui n’a plus à manger, plus d’eau propre à boire, plus de vêtements, plus de produits d’hygiène, plus de tabac, une population sans revenus, sans autres métiers que ceux qu’elle s’invente dans cette situation et livrée aux divers trafics des mafias profiteuses de guerre. Quel est l’objectif visé par l’interdiction de la circulation du shampoing et des vêtements pour enfants? Transformer les survivant·es en créatures sales, vêtues de loques, malnutries, prêtes à tout pour quelques légumes ou quelques grammes de tabac. Humilier jusque dans le plus profond de l’être, tuer de l’intérieur, parce que celleux à qui sont infligés ces sévices sont palestien·nes. Pour moi qui suis née dans la deuxième moitié du XXe siècle, on voit à quelles images cette description de Gaza me ramène. Ces images, on les montrait aux adolescent·es de ma génération avec ce message plus jamais ça. Nous avons grandi dans ce mensonge, mais est-ce qu’on y croyait vraiment? Le fils de Rami Abou Jamous est un petit garçon qui sait identifier le bruit spécifique du drone militaire à l’approche, apportant la propagande, la terreur, la mort. Dans la nuit je guettais ce bruit, que je ne connais pas.
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