Pour ce qui me concerne, les réseaux sociaux sont une suite infinie de vidéos où prédomine le mou. J’y vois des substances en expansion, en fermentation, en coulure; des émulsions colorées. Le plus souvent culinaires, ces choses molles sont des pâtes diverses qu’on tâte et manipule, qui gonflent encore à la cuisson et qu’on tranche du bout d’une lame fine pour en dévoiler la texture de muqueuse, moite et luisante. Sans contour, sans structure, ces matières molles appellent la main qui malaxe. Versions cocoonesques de la chair rose, spongieuse, cette farce que, debout dans sa cuisine et le regard vague, Jeanne Dielman pétrit longuement juste avant la jouissance du meurtre. L’attirance que l’algorithme m’attribue pour l’exhibition du mou est-elle représentative de la sexualité que les programmateurs de ces machines supposent aux mères de famille blanches cisgenres de plus de cinquante ans? Une sexualité orientée vers la trituration d’une matière crue, informe et passive jusqu’à l’obtention d’une nouvelle pâte à peine cuite, qu’on posera avec ravissement sur la table du dîner pour une clanique dévoration. Comme si, alors que les couches sont souvenirs, il fallait manger et faire manger une sorte d’éternel placenta.

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Thème : Overlay par Kaira.