En quelques mots expliquant son mal-être, le fils prétend qu’il ne savait pas que sa vie serait comme ça. Il s’imaginait quoi? Une existence sans difficulté, échec ni problème? Il se voyait peintre, gagnait sa vie ainsi mais par magie, sans se colleter le boulot inhérent de réseautage, de communication, toute cette part un peu sale de commerce qu’il déteste mais qui distingue le travail artistique personnel d’une activité professionnelle. Sa sortie de l’adolescence se fait laborieusement, en se cognant la tête au principe de réalité. Ce principe est plus dur que sa caboche, c’est ce qu’il éprouve, crise après crise, et combien de bosses encore lui faudra-t-il se faire pour qu’il se résigne d’abord puis renverse la vapeur en mettant la réalité de son côté plutôt qu’en l’affrontant, adversaire inexpugnable. Carrière artistique est pour moi un oxymore. Devenir artiste est l’affaire d’une vie, ça se construit lentement en cheminant comme on peut, le fameux rater encore, rater mieux. Qui fait croire aux jeunes gens qu’on entre dans l’art comme à la banque, pour y faire carrière? Il rétorque que j’avais confiance en lui, c’est ce qui l’a trompé. J’ai toujours confiance en lui, il est peintre et rien ne dit qu’il ne vivra pas un jour de sa peinture. Comment ai-je pu lui faire penser que tout arrivait d’un coup à la vingtaine, moi qui n’ai publié mes textes qu’à la cinquantaine sonnée? Le temps est notre ami avec le travail et la patience, évidemment c’est moins glamour qu’un destin à la Basquiat, mais Basquiat n’est plus là pour profiter des joies de son destin glamour, il a été utilisé, exploité, sa mort précoce lui a interdit de déployer son art, ses toiles sont des objets de spéculation livrés aux vautours. Alors quoi? Faire avec la réalité en se raccrochant à cette seule certitude que ceux qui y arrivent à la fin sont ceux qui ne se sont pas laissés décourager, ceux que rien ne peut décourager.

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