Ça n’est pas ce qu’on va faire dans la vie qui devrait t’inquiéter, c’est la guerre. Rappel à l’ordre des priorités de la part du fils, vingt ans, étudiant en philosophie. Il n’a pas tort mais une inquiétude ne chasse pas l’autre, elles s’accumulent et s’agrègent en une sorte de bouillie d’angoisse qui agit comme des sables mouvants, par étouffement progressif. Oui je m’inquiète de ce que mes fils vont “faire” dans la vie, comment ils pourront mener leur vie d’adulte, gagner leur pain, se démerder avec ce réel poisseux mais insaisissable que je les comprends de vouloir fuir. Un regard panoramique sur les vingtenaires qui m’entourent : je vois une génération atteinte de syndrome post-traumatique. Peur et impuissance, hésitations paralysantes, difficulté à décider quoi que ce soit par terreur des conséquences. Iels savent proclamer ce qu’iels ne veulent pas, mais beaucoup moins dire ce qu’iels veulent. C’est de la psy intuitive, pour ne pas dire de comptoir, mais voilà, une génération inhibée. Celleux qui finissent par s’en sortir s’engagent dans un métier sans rapport avec leurs études, choisissent l’exil, entreprennent un nouveau début. Les autres sont malades. On a la preuve, s’il en fallait, des dégâts de la politique néolibérale, des ravages de la compétition, des doubles-contraintes et de la fausse parole. On leur fait croire que leurs talents seront reconnus, qu’une multitude d’opportunités s’offriront à elleux pour peu qu’iels travaillent à l’école, mais quand le voile du mensonge se déchire, iels se voient flouéEs par les personnes sur lesquelles iels fondaient leur confiance. Pas étonnant qu’iels mettent une décennie à se réparer de cette violence. C’est une guerre, aussi.

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