Dans le train qui la conduit vers son désir d’une autre vie, des fourmillements au ventre comme à un premier rendez-vous, elle s’arrime au visage de la femme aveugle, allongé, très pâle, sans expression familière. N’en tire aucun enseignement sinon un regain de ce soupçon d’inexistence qui l’envahit si souvent. L’éclairage intense du wagon, venant de sources opposées, efface les ombres. Elle ne croit pas au hasard. Pas tout-à-fait. Elle se figure des mystères quand la raison dit le hasard, décrypte des messages dissimulés dans le chaos apparent des événements, elle refuse d’être gouvernée par l’absurde. Ça fait signe de toutes parts même si ça ne fait pas sens aussitôt, le plaisir de la révélation vient après. Qu’est-ce que ça veut lui dire, ce face-à-face avec une aveugle dans un train avançant à reculons ? Son regard va de la fenêtre – collines hérissées d’éoliennes aux ailes figées – à la femme aveugle, en passant par la valise, puis revient. L’intérêt excessif qu’elle porte à la femme aveugle la gêne; quand sa vie bascule, elle voudrait la solitude, la concentration sur elle-même. Il lui suffirait de changer de siège, de s’asseoir dans le bon sens, la femme aveugle derrière, elle ne la verrait plus, l’oublierait peut-être. Et la valise ? Il faudrait la déménager aussi, elle en profiterait pour y prendre un gilet plus chaud. Frissonne. Ne bouge pas.

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Thème : Overlay par Kaira.