Parmi nos grandes auteurices, contemporainEs, dont le travail compte non seulement pour la littérature mais pour la vie-même de chacun et chacune d’entre nous, il y a en partage une méfiance, un rejet, une détestation de la fiction. Ce rejet, je l’entendais hier énoncé par Marcel Cohen dans une émission radiophonique d’il y a dix ans qui accompagnait la sortie du Grand paon de nuit. Le vingtième siècle dont nous sommes issuEs est une longue traînée de sang nous barrant toute possibilité d’écrire de la fiction. Ce qui est, les faits, nous en tenir au réel (mais sans réalisme) qui déborde nos capacités de saisissement par les moyens de l’écriture, tâche humble et faramineuse, celle de la littérature aujourd’hui. Je suis embêtée, avec ça. Que nous ne puissions plus écrire des romans comme au XIXe siècle après Woolf, Kakfa, Proust, Joyce (point de vue européocentré qui est sans doute celui de ce débat), d’accord. C’est la frontière, la limite, la séparation (comment dire?) entre fiction et non-fiction qui n’est pas claire pour moi. Fiction : produit de l’imagination, et j’aime imaginer, je l’avoue. Écoutant François Bon lire un extrait de Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, j’ai été frappée par l’effet fictionnel de ce texte écrit à partir de la notation scrupuleuse de ce que Perec observait de la place Saint-Sulpice, le 19 octobre 1974. C’est une évidence, le texte de Perec se détache du réel, construit son autonomie, déploie sa force, tant et si bien qu’on se fiche absolument de savoir qu’il s’agit de la place Saint-Sulpice, laquelle, comparée au texte de Perec dans l’expérience de sa traversée, paraît bien morne. De la poésie, oui, de l’écriture, de la littérature. Pour me sortir de ça, et parce que je veux continuer d’écrire des fictions sans sentir la désapprobation de mes maîtres peser sur mes frêles épaules, je recours à l’exigence de véracité. Cette exigence morale de non-tromperie, cette horreur de la fausse-parole et de l’artifice, voici peut-être la boussole (à ne pas perdre). Mais en a-t-il jamais été autrement ?
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