Cette décision de changer de vie à 55 ans, quitter un travail assuré pour écrire (donc vivre avant que l’odeur de sapin ne devienne trop forte), après deux ans je ne la regrette pas. Mais certains jours l’angoisse domine, toujours la même quand celle du fils malade ne prend pas le dessus, l’angoisse de la facture. Le prix à payer, quoiqu’on choisisse. Tant de dettes dans une existence humaine, les sonnantes – trébuchantes et les autres. Hier, les plus imbéciles me plombaient le moral. Je descendais l’avenue, le cou dans les épaules. J’allais vers le cours particulier, les trente euros du jour. Septembre automnal, gris, laid. Un homme m’arrête, moi, dans le flot de celleux qui rentrent à la maison vers six heures. L’homme est radieux, fou de joie il me montre un carton plastifié dans les tons gris-bleu qui ressemble à une carte d’identité mais ça n’est pas ça. Regardez, dit l’homme, ils me l’ont donné, ils me l’ont donné. Je reconnais soudain le document, un titre de séjour. L’homme est régularisé, comme on dit en préfecture, il range son titre de séjour dans son portefeuille et déclare la France un pays merveilleux. Je le félicite, emporte avec moi son sourire. Je me souviens d’Aissata quand elle a reçu son premier titre de séjour, le sourire était le même. Je traverse la place le coeur soulagé, avec le sourire d’aujourd’hui et le sourire d’hier, je me sens comme si j’avais été moi aussi régularisée.
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