Je regarde la copie d’un élève, puisqu’il me la tend, sa note médiocre datée d’avril dernier, comme une blessure que je suis censée l’aider à réparer. La copie est barbouillée de rouge, les commentaires ont la violence des remarques assassines exprimées selon le code de politesse minimal qui régit la communication de l’adulte-maître vers l’adolescent. C’est que le jeune homme a cru voir du réalisme dans un extrait des Misérables, et s’est emballé en déclarant Hugo un représentant du réalisme. Horreur! Scandale! Les reproches s’abattent en pluie cinglante, pas compris, pas travaillé, pas ingurgité le cours. Lui, qui n’a que le souci de bien faire, en reste mortifié cinq mois plus tard. Je n’ai jamais supporté les humiliations que les dominants imposent aux dominés, pour leur bien. J’exècre l’ensemble de ces petites-maîtresses dévolues à l’élite (ces bonnes profs exigeantes!) qui enseignent la littérature à coups de bâton par le bourrage des crânes. Que penserait Hugo de tout ça? Ses textes débités en tranche dont on gave les jeunes gens avec la leçon associée, sans les laisser jamais s’en saisir, tâtonner, tenter des interprétations, se les approprier. Brûlerait-il toute son oeuvre pour ne plus servir d’alibi au dressage des esprits à la soumission académique, à l’obéissance aux maîtres? Je l’en estime capable.
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