Pour m’épargner une nuit d’insomnie, j’écoute en sourdine un podcast sur les lieux de Georges Perec, en commençant par la rue Vilin. Intelligence, beauté, humour, poésie, mémoire pourraient m’être viatiques au sommeil. Mais non. Me plongent dans une sorte de rêverie sans cesse interrompue et (ce qui n’est déjà pas si mal) l’on traverse ces heures vides ensemble, le monde de Perec et ma nostalgie de ce monde que je n’ai pas connu. En 1980, quand La Clotûre est paru, ce livre édité par souscription qui, dit-on, n’a pas trouvé les cent preneurs escomptés, j’ai treize ans. Je ne sais rien de Perec qui mourra deux ans plus tard dans une ville de banlieue proche de chez nous. Je voudrais rembobiner le film, comme on disait hier, retrouver mes treize mais en réalité augmentée, comme on dit aujourd’hui, une ado de 1980 qui connaîtrait Perec et, munie du papier de la souscription, réclamerait le livre à ses parents pour cadeau à noël. Est-ce que ça aurait changé ma vie? Je ne sais pas. Je n’aurais rien compris à ces étranges poèmes mais est-ce que je les comprends mieux quarante-trois ans plus tard? Plus sensible peut-être aux photographies, ces vieux immeubles murés, ces boutiques au rideau de fer définitivement tiré, les vitres brisées, les lettres peintes qui s’effacent. Nostalgie devant les villes en ruines, pas les antiques, celles dont la modernité passée touche à la mienne, douleur du temps qui s’effondre par pan comme un mur sous la poussée d’une tractopelle. Depuis l’enfance, la certitude d’être née juste après l’éboulement d’un monde. Inquiétude que je ne cesse de conjurer dans tout ce que j’écris.
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