J’ai écouté, il y a quelques jours, un documentaire radiophonique sur les villes de l’Atlantique, rasées en 1945 par les Alliés. On y parle en première partie de Royan. Cette émission de 1997 comporte un document d’archive sonore : un reporter se balade dans la division blindée qui s’apprête à donner l’assaut (Royan est déjà presque entièrement détruite par les bombardements) en vue de la libération de la ville. Il tend son micro, tente d’interviewer divers soldats ou gradés se préparant à l’opération. Je réécoute ce soir la scène colonialiste que cette archive comporte. Tandis que les militaires blancs, trop occupés, esquivent, le journaliste aborde un bataillon antillais. On entend des chansons antillaises. Je transcris le commentaire du journaliste. “Nous avons trouvé dans un petit village de la Charente maritime un bataillon de marche antillais. Et c’est avec un réel plaisir que nous avons voulu lui consacrer quelques instants. Vous entendez en ce moment un quatuor vocal qui interprète un air de cette terre lointaine. Et vous pouvez certainement constater combien chez ces hommes existe un rythme profond. Mais nous ne sommes pas ici pour parler musique. Sachez seulement que ces Antillais vont dans quelques heures attaquer les positions allemandes du front de Royan. Le calme règne, ils sont sûrs d’eux, sûrs de leurs réflexes et c’est pourquoi maintenant ils s’échappent de ce qui les attend tout à l’heure c’est-à-dire la lutte, la lutte pour la vie, pour le droit de vivre. Peut-être y-a-t-il aussi dans leur esprit l’espoir d’un prompt retour mais en attendant, ils chantent, et écoutez-les: (chanson: Ba moin en tibo). Et maintenant nous allons nous adresser au capitaine qui commande cette compagnie. Dites-moi mon capitaine, qu’est-ce que vous pensez de vos hommes, en tant que musiciens tout d’abord. Voix du capitaine : Eh bien très souvent ça marche à peu près comme ceci, ils sont très musiciens d’ailleurs et nous avons l’habitude des dégagements au point de vue danse, danse, musique. Journaliste : ah parce qu’ils dansent également? C’est dommage que nos auditeurs ne puissent pas les voir danser alors, mais dites-moi, en tant que soldats alors? Capitaine : En tant que soldats alors évidemment c’est autre chose et d’ailleurs je suis aussi content d’eux, je suis plus content d’eux sur le plan militaire que sur le plan musical. Journaliste : eh bien je vous remercie, nous allons nous adresser maintenant à un lieutenant qui je crois est originaire des Antilles. Vous êtes originaire des Antilles n’est-ce pas? Bon, écoutez, voulez-vous interviewer quelqu’un en antillais pour donner une impression à nos auditeurs de ce que peut être cette langue? Alors allez-y. (Le lieutenant interroge un soldat en créole) Journaliste : ah mais je comprends très bien! Vous lui avez demandé quel âge avait-il hein? (rires) Oui c’est ça, ah je suis très fort! alors il y a longtemps que vous êtes en France, vous? Lieutenant: ah ben il y a exactement 27 jours. Journaliste : 27 jours? Lieutenant : 27 jours mais j’ai fait l’Amérique, j’ai fait l’Afrique du Nord. Journaliste : l’Amérique, l’Afrique du nord? Lieutenant : oui. Journaliste : Eh bien c’est un beau voyage que vous avez fait.” Je cherche à savoir combien d’entre ces soldats sont morts dans la “réduction de la poche de Royan”. Au moins, tombés en même temps que le capitaine, deux officiers martiniquais.
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