J’ai apporté à Royan le journal de Virginia Woolf, cette version rabougrie publiée après sa mort par Leonard, dans la traduction de Germaine Beaumont. Je lis ce matin ce que Virginia écrivait dans son journal il y a juste quatre-vingt-dix ans, le 7 décembre 1933 qui était aussi jeudi. Elle apprend ce jour-là, en traversant Leicester Square, la mort d’une autrice par les affiches des journaux. Stella Benson, poète, romancière. La presse nécrologue titre : « Mort d’un écrivain réputé ». Je ne la connais pas. Je la découvre par sa fiche Wikipédia et aussitôt je l’aime : « son père lui conseille d’arrêter d’écrire de la poésie et d’attendre d’être plus âgée, plus expérimentée. En réponse, Stella Benson se met à écrire davantage… » ou cette autre remarque « elle ne cesse d’écrire malgré le peu de reconnaissance ». Vie mouvementée et voyageuse dans un monde sous emprise coloniale, déchiré par la Première Guerre mondiale. Multiples rencontres d’intellectuel·les, dont celle trop rapide de Virginia Woolf. Engagement dans la lutte des femmes pour le droit de vote. L’écriture, des publications, un prix littéraire. En Chine, elle épouse un officier des douanes maritimes qu’elle suit en Asie, et meurt au Tonkin, d’une pneumonie, à 41 ans. Dans son journal Virginia Woolf exprime une tristesse profonde et des regrets, la possibilité d’une amitié qui n’a pas pu se réaliser – on se croise, on se promet, on pense se revoir mais l’une meurt – mais aussi une œuvre littéraire que la mort laisse incomplète. En peu de lignes, beaucoup est dit sur celle qui disparaît, sur celle qui survit, provisoirement : « Sa mort comme celle de Katherine Mansfield m’est une sorte de reproche. Je continue. Elles ont cessé. Pourquoi ? Pourquoi pas mon nom sur ces affiches ? » Elle pense que Stella Benson ne lira pas son livre en cours d’écriture (Les Années, dernier roman publié de son vivant) et que, privé de « sa lumière », il en sera comme terni. Et cette réflexion frappante sur la sororité, la fécondation réciproque des esprits qui ruine le stéréotype de la singularité indépassable de l’artiste. « C’est la vie qui s’amoindrit. Ma propre effusion, tout ce que j’exprime, sera moins poreux, moins irradiant, comme si la matière pensante était un tissu que seules fertilisent d’autres matières pensantes (la sienne au moins) et cette effusion, maintenant, a perdu son souffle. »

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