J’ai élevé deux garçons, j’ai oublié de leur apprendre patience et endurance. Je le découvre maintenant qu’ils sont tous deux au seuil et dans les premières années de l’âge adulte. Ils voudraient que tout aille vite, que l’existence soit intense, riche, fourmillante, pleine d’allant, d’idées nouvelles mais aussi d’amitié et de partage. L’aîné s’est heurté à l’espèce de vide, à l’abandon dévolu aux étudiants des beaux-arts de Paris. Il se voyait apprendre la peinture parmi ses pairs et des maîtres passionnants, présents, bienveillants, généreux. Il est tombé dans un néant peuplé d’ambitieux mesquins où se distinguaient seulement le professeur de dessin James Bloedé et Pierre Alferi. Le second rentre hier de sa première journée de khâgne (son choix) dans un état d’énervement, d’exaspération rare pour ce garçon joyeux dont l’un des plaisirs est d’avoir découvert l’œuvre de Michel Foucault et de la parcourir méthodiquement, avec avidité. Il ne supporte pas l’ambiance de la prépa, me dit-il, cette surveillance constante, l’apprentissage de la soumission et la microéconomie. Très bien, alors quoi? Je l’informe qu’en fac il tombera aussi sur des cours et des profs emmerdants, que c’est inévitable. Lui se projette déjà sur sa thèse. Il explose dans la salle d’attente. Je ne leur ai pas appris patience et endurance, peut-être parce que personne ne me les a appris comme une leçon qu’on fait, un discours qu’on tient à un enfant. J’étais une fille et comme toutes les filles, patience, endurance et attention aux autres, ont été le cœur implicite, silencieux mais omniprésent, de mon éducation.

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