Hier, après le vote, voulu rejoindre les manifs. Me mêle à un groupe déambulant avenue du Maine, Montparnasse, descente vers Saint-Michel par les larges boulevards haussmanniens, pour éviter de se faire nasser dans les petites rues. Le Paris de ces beaux quartiers est un décor pesant, sans vie. De rares figures y joue leur rôle insipide parmi les belles pierres bien propres. Une file compacte de touristes s’agrège devant le bouillon Chartier, attendant leur tour d’y avaler un plat en vitesse comme le prescrivent les guides de l’authentique vie parisienne. Nous regardent défiler, ébaubis. Aux fenêtres les derniers habitants des lieux ou des bureaux, jettent un œil sur l’émeute, fleuve d’énergie dans ce cimetière sans tombes. On devine des appartements au charme de l’ancien, plafonds hauts et moulurés, douze mille euros le mètre carré. Ces braves bourgeois pacifiques n’hésitent pas, depuis les étages de leurs forteresses, à lancer ce qui leur tombe sous la main sur la tête des manifestants, des liquides, des objets divers. Un sac poubelle bien plein frôle un gars qui passe sur le trottoir. Humour de classe, sans doute, dans une guerre de classes. Les poubelles renversées sont des obstacles pour freiner l’avancée des véhicules de la police qui débarque pedibus, en cavalant. Dans ce groupe de manifestantEs, je suis la seule de ma génération. Les jeunes filent, poursuivis par une unité de crs ou autres chaussettes à clous, lourdement harnachés et armés, qui ne peuvent pas suivre. Moi non plus. Je regarde les jeunes s’éparpiller rue Hautefeuille comme volée d’oiseaux. Le fils est ailleurs avec des camarades, ils évitent les matraques des dits BRAV dont la bravitude consiste à frapper sans distinction les corps qui passent à leur portée. Il me dit que là où ils étaient, il y avait du monde. Moi, j’ai l’impression qu’il manque une partie de la jeunesse, exploitéEs parmi les exploitéEs, sans qui rien de solide ne pourra être fait.
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