Dogs of Europe. Vu hier, aux ateliers Berthier (Théâtre de l’Odéon). Trois heures de vrai théâtre, un spectacle qui se vit comme un rêve halluciné où tout pourtant nous parle de la réalité de ce qu’est le monde aujourd’hui. Un roman, dystopie écrite en biélorussien par Alhierd Bacharevič, adapté pour la scène et joué avec une traduction en français projetée sur l’écran de fond. C’est une production du Belarus Free Theater qui rassemble dix-huit musicienNEs, danseurs et danseuses, comédiennes et comédiens dans une tension physique et mentale continue. Ecrite en 2018 et préfigurant l’actualité de la guerre en Ukraine, cette fiction imagine le monde de 2049 reconfiguré après que la Russie a envahi et annexé les pays limitrophes, constituant un nouveau “Reich” derrière une longue muraille infranchissable, empire où les libertés individuelles sont niées, la suspicion et la violence au cœur des relations entre les personnes. De l’autre côté de la muraille, une Europe petite, impuissante, repliée sur elle-même, où la culture, les livres, la poésie sont des valeurs mortes. La question de la survie de l’individu se pose aussi à l’ouest. Auteur, metteur (Nicolai Khalezin) et metteuse en scène (Natalia Kaliada) et toute la compagnie ont dû quitter la Biélorussie, vivre en exil, pour se protéger d’une répression qui ne les épargnaient pas, un hommage est rendu aux 1435 prisonniers politiques à ce jour. Incroyable performance de la troupe dont on sent bien le travail collectif d’élaboration dans les moindres détails, largeur de vue qui englobe ce qui nous arrive à toustes dans une fresque puissante. Impression, en sortant du théâtre, d’habiter un pays rabougri, égocentrique, à l’imagination rétrécie. Nous serons sauvéEs, espérons-le, par de telles œuvres qui nous viennent de l’est.
Suivre