Je crois les musiciens vivre une vie d’une toute autre nature que la mienne, dans un autre espace temps, un monde parallèle qui ne s’embarrasse pas des inconvénients du mien. J’écoute Pablo Casals interpréter les suites de Bach, je le vois s’installer, caler son violoncelle, soulever l’achet, attaquer la première suite. Peut-on croire que cet homme-là ait eu un jour une facture d’eau à payer, une réparation à faire dans la salle de bain, le ravitaillement à prévoir? Impossible, c’était un musicien dont l’heureux monde parallèle ne connait pas la trivialité des chasses d’eau. Le monde des musiciens ne communique avec celui des accablés de basses besognes dans mon genre que par la musique qui soulage le temps qu’elle dure, un peu plus. Mais quand les dernières notes s’estompent ne me laissant que le souvenir d’une passagère consolation, j’imagine Casals devisant avec Bach en se fichant complètement de la contemporanéité.
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