Ne sais si l’âge en est la cause ou l’écriture quotidienne dans ce blog (après de multiples essais ratés, je persiste depuis quatre-vingts jours à tenir ce qui se rapproche d’un journal dans cette forme hybride d’aujourd’hui où l’intime et le public ne se séparent pas constituant un espace privé non plus restreint à soi-même mais élargi aux proches connus ou inconnus parce que pour arriver ici venant du vaste ailleurs il faut, d’une manière ou d’une autre, relever d’un rapport de proximité avec l’autrice), mais des souvenirs me traversent, des souvenirs de femmes le plus souvent. Je pense à une élève croisée à Aubervilliers. En première, dix-sept ans, virée d’un précédent lycée, elle n’est restée qu’une année. Je n’ai jamais su si elle vivait en foyer, en squat ou dans la rue mais c’était précaire et loin, raison de ses retards le matin, de ses absences. Beaucoup d’enfants d’Auber connaissaient (connaissent ?) de mauvaises conditions de vie (une autre élève, au détour d’une conversation (ce n’était donc pas une “excuse” pour manquement aux devoirs scolaires), m’a révélé qu’il lui était parfois impossible de relire ses cahiers le soir quand à la maison il n’y avait plus de bougies). A la fin d’un cours, l’élève de première vient au bureau, elle voulait une explication : la différence entre les consonnes et les voyelles, parce qu’elle en entendait parler sans savoir de quoi il s’agissait. Elle est souvent resté un peu après l’heure avec ses questions, fascinée par les réponses, ce mot tou, par exemple, dont elle découvrait qu’il n’existe pas. Elle a déclaré qu’elle allait passer le bac français, un peu comme on annonce qu’on va tenter le marathon, ou s’exercer à marcher sur les mains, une chose difficile et dépourvue de tout sens sinon d’être un défi pour soi-même. Se prouver qu’on en est capable. Bien sûr, en théorie, elle était là pour ça notamment, pour passer cette épreuve idiote, ce bac français, en fin de première mais nous étions très éloignées de la théorie, nous étions dans la vie réelle. Ce que j’ai appris en étant prof c’est que personne n’a besoin d’enseignant pour apprendre quoi que ce soit. Tu apprends ce que tu as décidé d’apprendre, la prof ne peut que donner un coup de main à la marge. Elle comprenait très vite, allait à l’essentiel. Elle l’a relevé, son défi. Je regrette de n’avoir pas pu la féliciter, lui dire mon admiration absolue pour ce 19 à l’oral qu’elle a décroché en partant de si peu de “bases” comme on dit, en puisant dans son intelligence et son courage.

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