J’ai un livre fantôme. C’est dans Aurores cannibales, ce livre fantôme, que je puise les textes de mes vidéos. Sauf Au parloir, plus récent, les autres sont vieux parfois de près de dix années. J’ai longtemps tenu un blog hébergé par Mediapart, j’ai écrit dans un magazine satirique Zelium, des billets plus ou moins directement inspirés par l’actualité. Et puis j’ai arrêté, parce que j’avais l’impression que rien ne changeait, que je me répétais, que ce que j’avais écrit il y a cinq ou huit ans pouvait être copié collé recyclé pour un éternel présent de l’ignominie politique. On croit naïvement ne pas écrire pour rien, au moins pour que ça soit écrit, on nous a appris que les écrits restent, nous les enfants du XXe siècle on nous a élevées dans le culte des livres qui sont comme les pierres d’un monument de mémoire collective. Est-ce encore le cas? Comment savoir, on ne peut pas être de son époque et de la génération future qui répondra à la question. Comme le rongeur dans la roue qui est dans la cage, mes billets tournaient en rond, moi avec. Pourtant, cette idée de laisser trace, ce désir de l’archive, du témoignage, ne me quitte pas. Que pouvons-nous présager de ce qui subsistera de nos écrits numériques? J’ai occupé les heures creuses du premier confinement à réunir ces billets, à les trier, j’en ai choisi certains, rejeté beaucoup et construit un recueil, ces Aurores Cannibales, chroniques d’une décennie 2010-2020. L’amie fidèle Béa Boubé a fait une belle maquette. Gilles a prêté une de ses photographies pour la couverture. Je n’ai pas cherché d’éditeur, voulais l’imprimer pour les quelques amiEs que ça intéresserait. Ne manquait que l’ISBN, les mentions légales. Le temps a passé. C’est resté comme ça, un livre fantôme qui ne hante que son autrice.
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