Autour de la vingtaine j’aimais entrer à l’église Saint-Sulpice regarder longuement la toile plongée dans la pénombre où l’on voit le combat de Jacob avec l’Ange, peint par Delacroix. Il fallait allumer, avec ou sans pièce je ne sais plus, pour que des lampes faibles s’éclairent une poignée de minutes. L’œuvre est dans une chapelle latérale à droite de l’entrée. Silence abîmé par quelques bruits de pas, toux étouffées, ambiance de calme angoissant où je me sens coupable de n’être pas croyante ou plutôt de faire figure d’intruse dans un lieu qui en dehors du Delacroix (il y en a deux face à face mais c’était l’Ange l’unique à mes yeux) me repousse totalement. Parfums douceâtres d’encens, de cire fondue. L’ange apparaissait entre deux déclics du système d’éclairage, retenant avec douceur le furieux Jacob, son dos musclé tache rose dans le bois touffu. Je connaissais peu la Bible (c’est toujours le cas), n’étais pas sensible à l’histoire d’Israël. La représentation de ces deux forces luttant avait un autre sens pour moi que l’épisode biblique très commenté. Mais je ne me posais pas la question du sens, à l’époque, je regardais un long moment fascinée puis sortais de la fraîcheur de l’église, reprenais ma vie dans le siècle parisien emportant de ces forces avec moi. Aujourd’hui j’y vois une signification d’ordre sexuel. Le bois touffu, foisonnant, comme le sexe maternel, cette tache rose s’agitant au centre, l’incertitude du combat qui sera gagné au prix d’une blessure. Mais je ne suis pas plus psychanalyste que religieuse. Accepter que certaines choses échappent, que seule la beauté tienne lieu d’explication.
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