Me suis souvenue de ma lecture d’Une journée d’Ivan Denissovitch. J’avais seize ans, 1982. Lecture imposée par notre professeure de français. Un choc de découvrir ce texte et l’univers que Soljenitsyne décrit. J’ai compris l’importance des mots, de l’écrit, de l’art, à travers ce personnage déporté au goulag qui supporte l’insupportable, qui ne sombre pas parce qu’il se rappelle avec d’autres zeks, ce qui les rattache à l’humanité, les films d’Eisenstein je crois. Avant, j’aimais lire, je lisais beaucoup. J’allais aux expos, j’aimais la peinture. Mais je ne savais pas pourquoi. J’ai découvert ensuite des scènes semblables racontées par des survivants des camps de concentration nazis: se réciter des vers, reconstituer de mémoire des poèmes, des fragments de romans, du théâtre, échapper ainsi à la mort un jour après l’autre, une heure après l’autre, grâce aux mots, à l’écrit même quand le livre est inaccessible. Reconstituer des livres interdits. Me suis souvenue d’Ivan Denissovitch en regardant le documentaire d’Henry Colomer, Talismans. Le réalisateur s’intéresse aux écrits, parfois quelques mots à la hâte sur des bouts de papier, d’hommes et de femmes en danger, en détresse. Certains sont illettrés. Témoigner, transmettre, laisser une trace. Prendre le temps de se pencher sur ces traces, de se souvenir.
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