Le flot d’insultes et de propos amers se tarit lentement, tant certains se complaisent dans la fange qu’ils lui croient jeter. Duras, en son temps, n’a pas eu le Nobel mais prenait cher aussi. Ecrire est scandaleux pour les femmes, toujours. Se serait-elle contentée, encore, de romans jeunesse ou policiers, de rimes jolies, mais c’est bien dans la littérature qu’elle a pris place, sa place. Dans ce pays où chacun se pique d’avoir son opinion sur des livres qu’il n’a pas lu, la littérature finalement on s’en fout, mais la célébrité c’est sacré. Un prix Nobel pour Ernaux, c’est autant de gloire perdue pour un vrai écrivain, un homme. Ou, parce qu’on est moderne, on veut bien d’une autrice étrangère qu’on n’aura pas à lire puisqu’elle n’est pas traduite. Mais Ernaux, rendez-vous compte, jamais les jurés du Nobel n’étaient tombés aussi bas. Non, la droite n’a pas le monopole du mépris pour Ernaux. On lui cherche des poux politiques dans la tête, on critique son style plat qui défrise, on conteste le principe des prix dans ce pays qui en est si friand. Ce qu’on déteste, en somme, ce n’est pas tant sa vie privée qu’on lui reproche d’étaler dans ses livres. C’est que son écriture n’a pas cherché à calquer les hommes ni à leur plaire, qu’elle a creusé son propre sillon avec rigueur, ténacité, développant un questionnement artistique aussi fort que cohérent. Il est là le scandale, c’est que malgré tous les empêchements d’écrire, elle écrit.
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