De seize à vingt-deux ans, j’ai été élève d’une école d’Arts appliqués parisienne, spécialisée dans les métiers de l’ameublement, l’école Boulle. À l’époque, les années 1980, on pouvait entrer à Boulle pour y faire son lycée avant d’envisager de poursuivre ses études dans les classes du supérieur. C’était un lycée professionnel dont les élèves étaient recrutéEs sur concours. Je suis enfant d’une famille de cadres et de médecins, mes grands-parents étaient haut fonctionnaire et dentiste d’un côté, pharmacien ou médecin biologiste de l’autre. À part un petit accident en classe de seconde, je n’avais pas de problème de scolarité. Cette entrée à Boulle, c’était mon envie de faire autre chose autrement. À seize ans je me suis inscrite aux séances de préparation au concours, me suis présentée aux épreuves avec une copine, puis j’ai dû convaincre mes parents inquiets de cette bifurcation inattendue de mon parcours scolaire qui m’envoyait dans un lycée professionnel, certes pas n’importe lequel mais tout de même. J’ai choisi, parmi la dizaine d’ateliers proposés à Boulle, celui de tapisserie où l’on apprenait le métier de tapissier, au masculin pour ne pas le confondre avec celui de la tapissière qui confectionne les rideaux, les tentures murales avec passementerie. Pour nous autres tapissiers, il s’agissait de garnir les sièges. J’ai hérité de ma grand-mère dentiste deux jolies petites chaises pliantes que j’ai longtemps reléguées dans un coin parce que leur vieille garniture avait cédé. Hier, j’ai entrepris la rénovation d’une de ces chaises. Stupéfiante, cette expérience du corps qui retrouve les positions et les gestes d’un métier appris il y a trente-sept ans dans l’atelier de l’école Boulle, et jamais pratiqué depuis.
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