Je me suis décidée à lire Enjamber la flaque où se reflète l’enfer, de Souad Labbize. Le livre de petit format presque carré que son autrice m’a dédicacé quand nous nous sommes croisées au salon international des éditrices indépendantes, à Limoges. Je l’avais posé sur ma bibliothèque, sans l’oublier, j’attendais le bon moment de l’ouvrir. Souad Labbize en avait parlé lors d’une table ronde sur les éditrices du Maghreb, je ne pouvais pas partir sans emporter avec moi son récit. Elle m’avait avertie, suggéré de ne lire qu’en condition de sécurité psychologique et j’avais apprécié sa délicatesse: se soucier des effets d’un texte sur celle qui le lit. En une heure de calme l’après-midi, dans la tiédeur d’une belle journée d’automne, je l’ai lu. Il y aurait tant à dire sur ces quelques pages d’une grande densité, d’une force accrue par la concision, l’économie des effets littéraires pour toucher au plus juste. Une phrase revient en refrain obsédant : Mais rien de grave n’est arrivé depuis que ma mère a hurlé. Le cri de la mère fait taire la fillette qui commence à lui raconter le viol qu’elle vient de subir. Fait taire la fillette aussi sur les agressions suivantes. Silence imposée à l’enfant violet par les adultes qui ne veulent rien savoir. Le rien de grave est fort, parce que nous minimisons toujours ce qui nous est infligé par des hommes, ça aurait pu être pire tant qu’on est encore vivante. Les rescapées doivent s’en estimer bien heureuses. Vertigineux de penser qu’en vérité, il n’y a aucune rescapée, que c’est réellement nous toutes. Que toutes les femmes depuis toujours ont été, sont agressées sexuellement d’une manière ou d’une autre. Vertigineux aussi d’imaginer ce monde débarrassé enfin de ce fléau de patriarcat. Comment ça serait la vie.

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